10 questions à un stratège de contenu pour mettre sur table les éléments importants à considérer dans le développement de programmes de contenu.

L’univers du contenu évolue chaque année. Et nos stratèges sont aux premières loges de ces changements.

Cet article présente les grandes tendances et les évolutions récentes (et celles à venir), à travers les yeux du stratège de contenu Fabrizio Barrios-Bazo:

  1. Comment a évolué la perception des marques et annonceurs sur le contenu au cours des dernières années?
  2. Dans ce contexte, est-ce que leur approche par rapport à la stratégie de contenu a aussi évolué?
  3. Quels sont les signes qu’une organisation a besoin d’une stratégie de contenu?
  4. Quels sont les écueils qu’on peut voir le plus souvent lorsqu’une organisation se lance dans un processus de stratégie de contenu?
  5. Comment une équipe de contenu peut-elle se préparer à son prochain exercice de stratégie de contenu?
  6. On nous demande souvent, quelle est la durée de vie d’une stratégie de contenu, à quelle fréquence doit-on la refaire?
  7. Et autre question facile, combien de temps ça prend pour développer une stratégie de contenu?
  8. Quelle est la plus grande faiblesse que tu vois dans les stratégies développées au cours des dernières années?
  9. Quelles sont les choses à ne pas oublier lorsqu’on complète sa stratégie de contenu et qu’on débute son exécution?
  10. Comment vois-tu l’évolution des stratégies de contenu des marques au cours des 10 prochaines années?

Comment a évolué la perception des marques et annonceurs sur le contenu au cours des dernières années?

La transformation la plus significative réside dans la prise de conscience par les annonceurs, notamment les plus importants, de la valeur intrinsèque du contenu. Ils reconnaissent l’avantage de construire une communauté et d’instaurer un espace d’expression libre, où ils peuvent présenter leurs marques, leur image de marque, et leur identité.

Une évolution majeure réside également dans la réaction des marques face au déclin des médias traditionnels, particulièrement au Canada, et aux événements tels que le bannissement par Facebook. Les marques ont réalisé qu’elles ne pouvaient plus simplement compter sur une visibilité passive ou espérer être découvertes par le public via des moyens conventionnels. Au contraire, elles doivent prendre l’initiative de se mettre en avant, de démontrer qu’elles ont quelque chose d’intéressant à offrir à l’utilisateur, une approche radicalement différente du passé.

Auparavant, la vision du contenu était plutôt conservatrice: les campagnes se limitaient souvent à une fois par an, en laissant le produit « parler de lui-même », dans l’espoir qu’il serait repris et mis en avant par les médias. Aujourd’hui, cette approche a totalement changé.

Les marques doivent désormais devenir leur propre média, se positionner en première ligne. Pour cela, le contenu devient essentiel, non seulement pour établir une connexion avec une communauté, mais aussi pour mettre en valeur le produit au quotidien. Face à une concurrence accrue, elles sont contraintes de produire du contenu et de le promouvoir activement.

Dans ce contexte, est-ce que leur approche par rapport à la stratégie de contenu a aussi évolué?

Au fil des ans, il est manifeste que la création de contenu en masse est devenue prépondérante, une évolution notable par rapport aux pratiques antérieures. Auparavant, le contenu était essentiellement un outil au service de la publicité.

En 2024, la tendance semble s’être inversée: la publicité se met désormais au service du contenu. L’objectif est de promouvoir le fait qu’il y a des nouvelles à partager, des messages à transmettre, des histoires à raconter. Dans de nombreux cas la publicité devient un moyen de diriger les audiences vers les réseaux sociaux, l’information, ou encore vers les médias et les plateformes contrôlées par la marque.

Il y a près de vingt ans, la situation était différente: le contenu était une extension de la publicité. On joignait des informations supplémentaires sur un produit à un publipostage, par exemple. Mais aujourd’hui, on reconnaît que le contenu doit apporter une valeur ajoutée quotidienne à l’utilisateur tout en favorisant les ventes.

Dans un monde où les consommateurs sont constamment à la recherche de nouveautés et exposés à une multitude d’informations, il ne suffit plus de les solliciter une ou deux fois par an. Ils risqueraient de nous oublier. Les annonceurs ont compris cette réalité et savent désormais qu’il ne s’agit plus simplement d’activer les consommateurs, mais de maintenir une connexion constante avec eux.

Quels sont les signes qu’une organisation a besoin d’une stratégie de contenu?

La réponse réside souvent dans un manque de souplesse vis-à-vis du médium choisi pour atteindre le public. Une erreur critique en matière de contenu est de présumer que les gens sont intrinsèquement intéressés par ce que l’on a à dire, au lieu de l’inverse.

En réalité, une marque s’immisce dans l’espace personnel des individus, ce qui est extrêmement difficile. Pénétrer dans un espace privé en tant que marque est délicat, car les gens cherchent à se détendre et à déconnecter de leur quotidien. Lorsqu’une marque s’y introduit sans y être invitée, cela peut être perçu comme intrusif. Un signe qu’une entreprise a besoin d’une stratégie de contenu est quand elle suppose, à tort, avoir sa place dans le cadre intime et relaxant des personnes.

Il existe alors un déficit d’adaptabilité de la part des entreprises, persuadées qu’une seule approche créative ou un unique type de contenu sera efficace sur tous les canaux, ce qui est loin d’être vrai.

C’est là qu’intervient l’élaboration d’une stratégie de contenu cohérente et pertinente, aidant les marques à comprendre la nécessité de s’adapter pour s’intégrer harmonieusement dans l’espace privé des gens. La manière de se présenter chez des amis n’est pas la même que chez des voisins, et il en va de même pour les marques et leur contenu.

Quels sont les écueils qu’on peut voir le plus souvent lorsqu’une organisation se lance dans un processus de stratégie de contenu?

La résistance au changement est souvent citée, mais c’est une réponse simpliste. En réalité, ceux qui entreprennent l’élaboration d’une stratégie de contenu sont généralement conscients de leurs objectifs et des erreurs à corriger. Ils reconnaissent également l’évolution du marché. Cependant, un obstacle majeur, et malheureusement fréquent, réside dans la résistance au changement au sein de l’organisation elle-même, notamment dans la rigidité de sa structure et dans la création de contenu.

Nous vivons dans un monde où les dynamiques évoluent rapidement, nécessitant des adaptations presque instantanées. Le défi se situe là: dans le processus de création d’une stratégie de contenu efficace, tout en composant avec la lourdeur administrative. Cette inertie peut ralentir la production de contenu, au point où, une fois celui-ci prêt, il peut déjà être dépassé ou ne plus correspondre aux tendances actuelles.

Ce qui fait défaut dans de nombreuses organisations, c’est cette capacité à réagir avec la rapidité et l’agilité d’un média.

Comment une équipe de contenu peut-elle se préparer à son prochain exercice de stratégie de contenu?

La première étape essentielle consiste à évaluer les capacités internes avant même de s’engager dans l’élaboration d’idées créatives ou de réfléchir au contenu à produire. Il est crucial de se poser les bonnes questions: quelle est notre capacité réelle de production de contenu? Peut-on être présents sur plusieurs fronts simultanément? Dispose-t-on des ressources humaines ou des budgets nécessaires pour cela?

Cette réflexion est souvent négligée. Lors de la planification d’une stratégie de contenu, il est facile de se laisser emporter par l’enthousiasme: « Nous devons être ici, faire cela, communiquer ceci ». Toutefois, la réalité frappe rapidement: réaliser tous ces objectifs pourrait nécessiter des ressources supplémentaires, que ce soit en termes d’effectifs ou de méthodes de travail internes, souvent absentes de la culture d’entreprise.

Pour élaborer une stratégie de contenu efficace, il est conseillé de réaliser un diagnostic interne: comment se déroule actuellement la production de contenu? Quelle est la souplesse organisationnelle? Quelle est la capacité de production? Ce diagnostic permettra de concevoir une stratégie adaptée aux besoins réels de l’entreprise.

Contrairement à une idée reçue, un contenu de qualité découle davantage d’une capacité à réfléchir et à s’adapter rapidement plutôt que d’un budget conséquent.

On nous demande souvent, quelle est la durée de vie d’une stratégie de contenu, à quelle fréquence doit-on la refaire?

Il est essentiel de réviser annuellement sa stratégie de contenu, car les plateformes évoluent à un rythme effréné. Ce qui était tendance une année peut devenir désuet l’année suivante, notamment en raison de l’évolution des plateformes et des habitudes de consommation.

Prenons l’exemple de TikTok: initialement, la plateforme favorisait des contenus courts, de sept à quinze secondes. En 2023, elle a opéré un virage radical en se tournant vers des formats d’une minute, en réponse à la concurrence de YouTube. Les créateurs de contenu se sont adaptés en produisant des vidéos d’une minute, voire jusqu’à dix minutes. Cela a directement influencé les habitudes des utilisateurs, qui sont passés d’une préférence pour des contenus très courts à une attente pour des vidéos plus longues.

Il ne s’agit pas nécessairement de remettre en question les piliers fondamentaux de la marque ou le message à communiquer, mais plutôt la manière de le faire. Un rafraîchissement des méthodes, des tactiques, et une ouverture d’esprit quant aux nouvelles possibilités sont indispensables. Cela implique également une évaluation des capacités à s’adapter à ces changements.

Une révision annuelle est donc cruciale, non seulement en raison des changements sur les plateformes, mais aussi parce que les comportements et les attentes des utilisateurs évoluent constamment.

Et autre question facile, combien de temps ça prend pour développer une stratégie de contenu?

Il n’existe pas de solution universelle ; la réponse varie en fonction de chaque organisation. Elle dépend de la capacité de l’organisation à s’adapter aux changements et à implémenter une stratégie de contenu. Avant de développer cette stratégie, il est essentiel de se poser certaines questions: les outils de marque existants sont-ils adéquats? Doit-on construire sur des bases déjà établies?

Il faut examiner si l’entreprise possède déjà un manifeste, une mission claire, et si on peut créer du contenu sur la base de ces éléments solides. Ou bien, doit-on se questionner sur l’identité de l’entreprise, sur ce qu’elle a à offrir et sur la manière de le présenter avant même de commencer à élaborer la stratégie de contenu?

Le processus de mise en place d’une stratégie de contenu n’est pas nécessairement rapide, ni forcément long. Tout dépend de l’étape où se trouve l’entreprise. Si une entreprise doit d’abord définir son identité avant de décider de ce qu’elle va communiquer, cela pourrait nécessiter un processus de trois à cinq mois. En revanche, si l’entreprise doit « simplement » déterminer sa direction future sur la base de son état actuel, le processus pourrait être plus court, de un à deux mois.

Ce processus implique d’évaluer l’identité de l’entreprise, ses capacités, puis de construire la stratégie en tenant compte de ce que fait la concurrence et en allant au-delà afin de créer sa propre singularité dans le marché.

Quelle est la plus grande faiblesse que tu vois dans les stratégies développées au cours des dernières années?

La principale vulnérabilité réside dans l’approche « One Size Fits All », c’est-à-dire l’idée qu’un même conseil en matière de médias sociaux, de création de contenu ou de vidéos puisse convenir à toutes les entreprises. L’erreur commise par de nombreuses entreprises est de croire que ces conseils génériques leur sont directement applicables, sans se questionner sur leur pertinence ou sur la manière dont ils s’intègrent dans leur environnement unique, où finalement, tout le monde finit par faire la même chose et perdre en originalité.

Prenons un exemple simple: une entreprise décide de suivre une tendance ou un meme populaire, même si cela ne correspond pas à ses valeurs ou à ce qu’elle a réellement à offrir. Bien que cela puisse donner des résultats immédiats, sur le long terme, cela peut entraîner une perte d’identité et de pertinence. Les consommateurs pourraient alors avoir du mal à comprendre pourquoi ils devraient s’engager avec une marque qui se fond dans la masse.

En ouvrant des plateformes telles que Facebook, Instagram, TikTok, ou en lisant une infolettre, on se retrouve souvent face à des contenus redondants, des blagues identiques et des accroches similaires, perdant ainsi toute originalité.

La véritable faiblesse est donc de croire que les conseils génériques s’appliquent à tous. Chaque entreprise doit évaluer sa propre stratégie, se questionner sur ce qu’elle a de plus à offrir à l’utilisateur et sur la valeur ajoutée qu’elle apporte. C’est cette réflexion qui fondera une stratégie de contenu réussie.

Quelles sont les choses à ne pas oublier lorsqu’on complète sa stratégie de contenu et qu’on débute son exécution?

Je souligne à nouveau l’importance cruciale de la capacité des équipes pour le succès d’une stratégie de contenu. Si une équipe se dit capable, mais qu’ensuite un membre clé part, que le projet change, ou que l’équipe est restructurée en raison de réductions budgétaires, la stratégie ne peut plus être la même. Elle est initialement conçue en fonction des ressources disponibles, de la flexibilité à raconter des histoires et de la capacité à saisir des moments opportuns. Si ces capacités se trouvent réduites, la stratégie ne peut plus être exécutée comme prévu.

Une erreur fréquente dans de nombreuses entreprises est de commencer avec l’intention de tout réussir, avec des budgets et des équipes adéquats. Cependant, une stratégie de contenu nécessite du temps pour mûrir, souvent six mois à un an avant d’atteindre sa pleine efficacité. Faute de résultats immédiats, les priorités peuvent changer, affectant ainsi la capacité à exécuter la stratégie. En conséquence, la stratégie peut être jugée infructueuse, alors que l’échec est en réalité dû à un manque de persévérance et d’effort soutenu dès le départ.

Comment vois-tu l’évolution des stratégies de contenu des marques au cours des 10 prochaines années?

La crise actuelle des médias et la perte de confiance envers les médias traditionnels soulignent un aspect crucial: l’importance croissante pour chaque entreprise de devenir son propre éditeur, son propre magazine, son propre média. Actuellement, cette tendance se manifeste partiellement à travers l’utilisation des plateformes sociales, mais il est probable qu’elle s’étende au-delà. En dépendant des plateformes sociales, les entreprises sont soumises à leurs évolutions, décisions, et même à d’éventuels rachats, ce qui peut changer radicalement l’environnement de ces plateformes.

À l’avenir, je prévois que les entreprises deviendront de plus en plus autonomes en matière de médias, en se positionnant dans un espace ouvert où elles pourront promouvoir leur contenu. Les entreprises qui sauront innover, proposer des contenus captivants et les présenter de la meilleure manière possible auront un avantage significatif.

Les entreprises qui prennent dès maintenant l’initiative de construire des sites web dédiés, de capturer tous les moments possibles, et de publier du contenu non seulement sur des plateformes tierces, mais aussi sur les leurs, se doteront d’un avantage compétitif pour l’avenir.

Ce concept n’est pas nouveau. Dans les années 70 et 80, de nombreuses entreprises possédaient leur propre magazine – Sears, par exemple, avait son fameux catalogue. Il est probable que nous assisterons à un retour à ce modèle, mais adapté au numérique. Cette évolution survient, car les entreprises réalisent qu’elles ne peuvent plus dépendre exclusivement des plateformes externes et de leurs changements constants.


Depuis plus de 8 ans, Fabrizio est spécialiste en médias sociaux et création de marque. Il a œuvré pour le compte de grandes compagnies privées et publiques (STM, Lowe’s Canada) et de marques établies au sein d’agences numériques (Desjardins, Croix Bleue du Québec, Air Transat).

Il a développé des stratégies sociales et numériques à succès, démontrées dans la croissance et l’engagement des communautés et l’atteinte des KPI établis. En tant qu’expert des plateformes, il sait jongler avec des équipes multidisciplinaires, assurant ainsi de véhiculer la constante évolution des plateformes et les tendances des médias sociaux afin d’assurer des stratégies pertinentes pour les besoins de nos clients et de leurs audiences-cibles.